Je me prénomme Sofia.
Il y peu de chance que ce récit ait des suites.
Nous sommes sur le point de réaliser quelque chose de grand.
Il n’y aura peut être pas de résultats et nos efforts auront alors été vains.
Il est trop tard pour y penser.
C’est un prix dérisoire à payer pour la liberté.
Je suis Sofia et voici mon histoire.
* * *
New York - Juin 2152« Tu es sûr Sigürd ?! Voler une navette furtive d'attaque ?! Détruire les sources d'énergie et dispositifs de télécommunications des stations orbitales ?! Balancer des astéroïdes dessus ?!?
C’est de la folie furieuse !!!
_ La Liberté est à ce prix, Sofia ! »
Si tu ne tiens pas sur tes gardes, c’est sur la leur que tu finiras…
Il faut toujours tirer en premier.* * *
Mon nom est Sofia Vinali.
Actuellement je suis une des journalistes les plus détestées de ce monde.
À ma charge, mon dernier article a causé deux semaines de débâcle et de tensions au sein d’une des corporations les plus puissantes du sud de la planète et a causé une chute du cours de leurs actions.
Une de plus.
Depuis plus d’un an, nous cherchons, Lou, Sigürd et moi, à faire tomber les corporations qui dirigent ce monde, et ce, par tous les moyens.
Nous avons bataillé de nombreuses fois contre un système conçu pour et par eux.
Nous tentons de libérer le monde de la domination de l’argent, de la mafia et surtout… des Orbitaux.
Nous rendons coups pour coups. Média contre mafia. Violence contre violence.
Bats toi jusqu’à l’ultime combat.
Fais en sorte qu’ils ne sortent pas vivants de cette rencontre.* * *
2151 - Night City - Zone Libre de Californie du SudNight City. Une ville pourrie. Un reportage comme tant d’autres. J’ai eu la chance qu’on me propose de couvrir la promotion groupée d’une porno star, Divine, et d’un chanteur qui m’était, à l’époque, totalement inconnu.
Elle, refaite jusqu’au bout des ongles, paradant dans les boites de nuits les plus en vogue. Une idole comme tant d’autres à mon sens. Une jolie poupée, vite créée, vite oubliée.
Le chanteur, en revanche, leader d’un groupe de néo-grind-truc-machin-métal, comme il dit, m’a intriguée dès le début. Une espèce de viking de l’ancien temps, fier, arrogant, violent et brutal. L’archétype du mâle en mal d’un temps révolu.
Sigürd.
Sigürd.
Sigürd…C’est lors de cette soirée à Night City que nous nous sommes connus, Lou, Sigürd et moi. Lou était la solo engagée pour protéger Sigürd et moi je devais couvrir l’événement. Mais les choses n’ont pas tourné comme escompté.
Depuis cette nuit-là, nous n’avons eu de cesse de nous battre contre ce système et surtout contre ses sbires, envoyés par escadrons entiers pour nous faire taire et nous empêcher d’agir.
Des Russes, des Chinois, et dernièrement, des Africains…
Nous ne nous connaissions pas et n’avions même pas les mêmes origines. Mais c’est finalement notre volonté de lutter, sans retenue aucune, contre le monde actuel, de lutter contre l’inégalité criante entre les Orbitaux pillant notre monde et le « peuple » – comprenez, tout le reste – vivant sous la domination d’un système au service des nantis et des puissants, qui nous a poussé à nous associer.
Oui... ça et ton côté sadique…
Et un gros grain.* * *
Je suis née dans une banlieue du centre de l’Italie. Mes parents ne m’ont pas élevée et m’ont confiée à des amis qui travaillaient dans un centre de recherches sur une plate-forme pétrolière, au large des côtes italiennes.
J’ai eu une enfance qu’on peut qualifier de « privilégiée » : nourrie, logée, blanchie … Tout pour être heureuse.
Je jouais avec d’autres enfants dans les couloirs du centre de recherche. On se faisait vertement réprimander lorsque l’un de nous se faisait attraper. Dans ces cas-là, nous sortions au « grand air », sur la plate-forme. De là où nous étions, par beau temps, on pouvait voir les villages des côtes. Sales, grouillants, sordides, peuplés d’indigents et de nécessiteux.
Bien que j’ai deux sœurs, dont une jumelle, et un frère, je n’ai pas grandi à leurs cotés et je n’ai quasiment pas eu de contact avec eux. Ils vivaient tous plus ou moins séparés, disséminés à travers les divers membres de la famille.
La seule avec qui j’ai un minimum de rapport est ma sœur jumelle, Silvia. J’ai repris contact avec elle quand j’avais 18 ans. Depuis, nous nous contactons régulièrement, mais depuis quelques temps, j’évite de la joindre pour lui éviter des ennuis.
Elle lit mes articles dans la presse et poste souvent des commentaires sur mon blog. Je crois qu’elle m’idéalise un peu. Elle est certaine que je réussirai, avec l’aide de mes amis, c’est indéniable, à renverser l’ordre établi et à construire un monde meilleur…
Pour le moment, tu n’a fais que renverser tout court…Un jour on est venu me trouver avec une boîte en carton tachée d’huile. Une petite boite pas très lourde. Le coursier m’a laissée sur la plate-forme, la boite entre les mains, et est reparti aussi vite qu’il était arrivé, avec tout de même un sourire qu’il voulait sûrement compatissant.
J’étais jeune et le visage de ce coursier reste flou. Ce dont je me souviens c’est d’avoir ouvert cette petite boîte crasseuse. À l’intérieur, pêle-mêle, je vis ce que je reconnu comme étant les bijoux de ma mère. Rien de très précieux. Quelques babioles, achetées ici et là, sur des marchés aussi divers que lointains.
Mes parents étaient des contrebandiers. Ce que je savais déjà. De ce que j’en lu et compris plus tard, c’est que lors de leur dernier sabordage ils étaient tombés sur un os. Ils avaient tenté de s’en prendre à un vaisseau cargo marchand orbital. L’issue leur avait été fatale. Ils sont morts et personne ne les a pleurés.
Et tu va sûrement finir comme eux.
Mais contrairement à eux, personne ne recevra de boite pour toi.* * *
Très tôt, j’ai voulu devenir journaliste. « Média » comme on dit. Avec l’ambition de percer à jour les magouilles sordides et obscures dans lesquelles trempent toute la classe politique, les nantis, les corpos et surtout… les Orbitaux. Ça, c’était pour le côté hypocrite du métier.
Mon objectif était surtout de gagner de l’argent. L’argent fait tourner le monde et je voulais avoir ma part du gâteau. Gagner suffisamment pour me permettre de gagner en notoriété et pouvoir avoir la vie luxueuse à laquelle j’aspirais.
C’est lors de mes études, j’avais 16 ans, que j’ai été confrontée pour la première fois à l’injustice et à la violence gratuite. J’étais en compagnie d’autres élèves de l’école de journalisme et nous déambulions à travers un quartier plus ou moins bien famé.
Soudain, quelqu’un a surgi juste devant nous. Un mendiant, visiblement, au vu de ses vêtements crasseux et délabrés. Il est sorti en trombe d’une épicerie, avec quelque chose entre les bras.
Il a vite été rattrapé par un milicien qui l’a plaqué au sol avec une extrême violence et a commencé à le rouer de coups.
Surpris, nous n’avons pas réagi dans l’instant. Alors que les coups ne cessaient de pleuvoir, nous avons tenté de nous interposer. Le milicien s’est retourné et a menacé de nous faire subir le même sort si nous intervenions, puis il a continué des rouer de coups le pauvre homme dont le sang commençait à ruisseler de façon inquiétante sur le sol.
Nous n’étions pas armés et surtout pas prêts à riposter face à tant de violence gratuite. Nous sommes restés là, les bras ballants, regardant ce pauvre homme se vider de son sang.
Quant il a sombré, au mieux, dans le coma, le milicien s’est relevé, a arraché l’objet du délit, un sachet de nutriments déshydratés, et s’en est retourné, satisfait, vaquer à ses occupations.
Ce genre de personne ne mérite pas de pitié.
Il faut s’armer pour nettoyer cette terre. Faire place nette.Cette expérience fut l’une des plus tragiques, des plus dures et des plus choquantes de ma vie. L’épicier a remercié le milicien, récupérer son dû et est rentré dans sa boutique sans même un regard pour l’homme gisant dans son propre sang.
Je ne sais pas ce qu’il est advenu de ce pauvre ère. Il a surement succombé à ses blessures.
Une telle manifestation de mépris, d’égoïsme et violence m’a poussée par la suite à rechercher des articles à éditer sur ce genre de personnes. Généralement des patrons qui harcèlent leur secrétaires, des cadres peu scrupuleux, des employés ne faisant pas la différence entre l’argent de la société et le leur…
Et plus récemment, les coups dans le dos des Orbitaux.
Ces gens profitent allègrement du système pour monter des entreprises vampiriques qui absorbent l’essence même de leurs employés.
L’argent mène au pouvoir. Le pouvoir mène à l’argent.
Ne perd pas de vue ton objectif.* * *
À 20 ans, je me suis mariée à un ami d’enfance. Christian. Ce n’était pas un mariage d’amour physique, évidement, Christian n’a jamais été attiré par la gente féminine ; presque un mariage de raison, mais surtout un mariage d’une tout autre nature…
Nous avons trouvé tous deux dans ce mariage un moyen de faire bonne figure aux yeux de la société, tout en restant proches et en contact.
Lui y a surtout trouvé le moyen de combler sa mère, peu de temps avant la mort de celle-ci, en lui annonçant son mariage. Avec une fille. En bonne santé. Et elle a pu partir : l’honneur était sauf.
Pour ma part, cela m’a permit de ne pas le perdre de vue et, détail intéressant, de pouvoir avoir accès au monde « d’en haut ». Le monde de la mode, cynique, froid malgré le faste et la soie, un nid de vipères plus qu'un panier de crabes… Le genre à mettre du verre pillé au fond des chaussons de danse.
Grâce à ce monde, j’ai pu écrire quelques articles qui m’ont valu une petite renommée et des entrées aux grandes réceptions mondaines.
On a dit, il y a longtemps, « de la merde dans des bas de soie ». Cette expression correspond très bien à ce monde. Puant, collant, humiliant.
Un monde où l’hypocrisie règne en maître. Un monde que j’ai fini par éviter comme la peste.
Ou parce qu’on ne t’a plus acceptée dans les cercles fermés.
Ils t’ont méprisée et rejetée. Typique.* * *
C’est à 23 que ma vie a basculé une nouvelle fois. J’écrivais un article sur le détournement de fonds dans une grande entreprise lorsque j’appris aux nouvelles la mort d’un de ses employés.
Celui-ci avait été retrouvé mort, dans son appartement, deux ou trois balles dans le corps dont une à bout portant dans la tête. Le suicide était à exclure vu qu’il était encore attaché à une chaise lorsqu’on l’a découvert. Torture et exécution. Du travail de solo.
Je devais interroger cet homme sur un sujet sensible d’agissements troubles au sein de sa société. La mafia avait dû avoir vent de cette enquête et avait décidé de supprimer le témoin gênant.
C’est à ce moment que je me suis rendue compte que je ne pouvais pas gagner face à ces géants. Ils étaient bien plus forts, nombreux, riches et puissants que moi. Je n’étais qu’une petite journaliste, ayant un accès restreint au monde de ceux qui gouvernent.
Cette conclusion, somme toute évidente, m’a plongée dans une catatonie profonde. Je suis restée de longs mois cloîtrée, cachée du monde extérieur, ressassant sans cesse les images les plus sordides que mon cerveau malade pouvait trouver. L’homme battu à mort dans la rue, les rues sales d’Italie, les enfants mourant de faim, cet homme mort par ma faute…
Puis un jour, une colère sourde est montée du fond de mon être, m’a envahie comme un liquide brûlant dans les veines et s’est répendu dans chaque parcelle de mon corps. Je suis sortie de l’état cataleptique dans lequel je me trouvais.
Je me suis levée, lavée, j'ai jeté des boites complètes de somnifères, jeté les ordures qui jonchaient le sol de la chambre d’hôtel miteux que je louais depuis trois mois.
Une fois un plus ordonnée, j’ai appelé Christian. Cela faisait trois mois que je n’avais donné signe de vie. Il décrocha à la troisième sonnerie. Je sentis à sa voix que plusieurs sentiments se bousculaient : la colère, la joie, la colère, l’incompréhension, la colère, le sermon, et finalement c’est le soulagement qui l’a emporté. Il m’a fait promettre de venir le voir dans la journée, ce que je fis. Puis j’ai raccroché.
Le lendemain, j’ai repris contact avec la boîte pour laquelle je travaillais le plus souvent en tant que journaliste free-lance. Étonné, mon rédacteur en chef a d’abord refusé catégoriquement que je revienne, me reprochant mon manque de rigueur et le fait de partir du jour au lendemain sans prévenir personne. Il a fini par accepter que je travaille de nouveau pour lui. Il m’a alors proposé de couvrir l’événement du moment : le show de la célèbre Divine, et le concert de Sigürd.