Michèle Le Saulnier
Issue d’une famille de paysans, la vie m’a conduite assez jeune dans une troupe de saltimbanques. Mes parents avaient déjà trois enfants quand je suis née, et deux autres m’ont suivi. Nous avons toujours réussi à vivre de nos maigres récoltes. Mais l’année de mes 5 ans, l’hiver fut très rude et très long, alors que ma mère accouchait de jumeaux. Nos réserves ne permettaient pas à ma famille de tous nous nourrir. D’après ce qu’on m’a raconté, mes parents se sont présentés un jour au marché et ont rencontré la troupe qui me recueillit ma sœur de 2 ans mon aînée et moi. Les personnes qui dirigeaient la troupe étaient un couple en mal d’enfants, la nature ne leur avait pas permis de procréer et ma sœur, Marie, et moi étions en bonne forme. Au cours de la conversation la solution fut trouvée tout naturellement. Mes parents ne voulaient pas nous abandonner mais plutôt nous donner une chance de survivre.
Contre leur promesse de nous assurer une vie correcte, mes parents repartaient sans nous et sans se retourner. Je ne leur en veux pas pour cette décision. Notre enfance vagabonde fut des plus heureuses. Selon les voyageurs que l’on croisait ou qui nous accompagnait un bout de chemin au gré de notre route, j’ai eu l’occasion d’apprendre à lire et écrire, et entendre le récit de voyages et la description de contrées qui m’étaient étrangères. Nous apprenions également le métier du spectacle (d’où mon goût du déguisement au jour d’aujourd’hui).
A la mesure que les années passaient, nous parcourions les routes de France. Je pensais passer ma vie au sein de la troupe, jusqu’à ce que j’ai une révélation. L’aventure m’appelait au-delà des mers. Lors d’une de nos « escales » à la Rochelle, j’ai eu l’occasion de rencontrer un jeune homme, petit nobliau qui rêvait lui aussi d’aventure mais n’en avait pas la carrure selon moi. Je profitais un temps de sa générosité et de sa douceur dans l’amour qu’il me portait. Il me confia, un soir, qu’il avait pu se procurer une carte qui menait à un trésor. Il avait soudoyé un pirate ivre et lui avait acheté le précieux parchemin. Le pirate n’avait pas les moyens d’engager un équipage contrairement au jeune homme et préférai la monnaie sonnante et trébuchante plutôt qu’une promesse de merveilles.
Ma participation à l’aventure lui était acquise, sauf qu’il refusait d’intégrer une femme à bord de sa future frégate. Soit, ma fierté en prit un coup, mais ne fit qu’accroître mes ambitions. Je mis donc fin à cette amourette avec le bellâtre, en emportant un souvenir au passage. Je quittais donc ma troupe à regrets, mais déterminée, à l’âge de 16 ans.
Je me grimais en jeune freluquet pour intégrer l’équipage d’un navire en tant que mousse avant de gravir les échelons jusqu’au poste de second d’un navire de la marine du Roy.