Je pris le rouleau de parchemin soigneusement protégé dans son étui. Je le déroulais et en commençais la lecture. J’avais parcouru ces lignes un nombre incalculable de fois. De tous les objets que j’avais conservés de mon père, celui-ci était à mes yeux, et aux yeux de tout samouraï digne de ce nom, le plus grand présent qu’il m’ait jamais fait. En effet, je tenais entre mes mains une copie du code du Bushido, écrit par Akodo, lui-même.
Je n’ai à proprement parlé pas connu mon père, même si sa mémoire et son nom restent à jamais gravés au hall des ancêtres, et donc à mes côtés. Il se nommait Akodo Kenichi, il rejoint ses ancêtres lors de la bataille des plaines de Gaiju Shindai, alors qu’un shugenja fou du nom de Kitsu Goden libéra les esprits du Toshigoku en pleine bataille, causant la perte insensée de nombreux samouraï chez le Lion comme chez la Grue. Mon père vaincu l’un des généraux en duel et sacrifia sa vie pour arrêter Kitsu Goden dans son entreprise, pendant que le clan de la Grue se précipitait pour prendre la ville de Toshi Ranbo et en voler la possession au Lion.
Telle est l’histoire que le clan Ikoma raconte à son sujet. L’histoire d’un homme qui a vécu sa vie comme chaque samouraï devrait le faire, avec Honneur, Devoir, et, s’il le faut, Sacrifice.
Je rangeais le rouleau, honteuse de ce moment de doute. Mon père et tous mes ancêtres veillaient sur moi. Rassérénée, je réajustais mon kimono, vérifiais que mon daïsho était parfaitement disposé. Je prenais garde à ce que mes cheveux soient impeccables et j’utilisais pour cela le miroir que j’avais reçu en cadeau d’un courtisan Ikoma. Au moins ce cadeau me serait-il utile en ce jour. J’avais dû laisser mon armure et le reste des armes qui m’appartenaient dans ma chambre car les circonstances de ce jour l’exigeaient.
Une fois apprêtée et sereine, je quittais enfin ma demeure. J’ouvris la cloison de ma chambre et passais par la grande salle. Ma mère n’était déjà plus présente. Sans doute attendait-elle déjà au dojo. En me dirigeant vers la sortie de notre maison, je jetais un coup d’œil aux râteliers sur lesquels étaient exposées de nombreuses armes. Je les avais toutes tenues au moins une fois entre mes mains. Des éventails de guerre de toute facture ornaient les derniers espaces libres et le tout donnait à cette salle l’aspect d’un hall dédié à l’art de la guerre.
Je marchais, déterminée, mais d’un pas souple, dans les rues de Shiro Matsu. Les riverains m’observaient, certains ignoraient la situation, d’autres réalisaient que c’était peut-être la dernière fois qu’ils me voyaient. Je grimpais la pente menant au dojo, tachant de ne paraître ni essoufflée ni débraillée une fois sur le perron. Je passais sous l’arche délimitant l’entrée et arrivais dans la cours du dojo. De nombreuses gardes veillaient à ce que personne n’en ayant l’autorisation ne rentre et qu’aucun trouble-fête ne vienne briser le sacré de cette cérémonie.
J’allais présenter les respects à Matsu Tsuko-sama, la daimyo de notre famille, qui me rendit solennellement mon salut. Je me dirigeais ensuite vers mon senseï Matsu Ikku pour le saluer à son tour. Il me salua d’un geste de la tête. Je ne vis aucune inquiétude dans ses yeux. Je me sentais alors invincible, me rappelant les paroles que j’avais échangées avec lui tout au long de mon entrainement.
Il avait très vite décelé que je faisais preuve de formidables capacités martiales. Je pouvais prendre n’importe qui de vitesse. Je me révélais finalement être sa meilleure élève et celle avec laquelle il passait le plus de temps. Ce statut privilégié était pour moi le plus grand des honneurs qu’un maître puisse faire à son disciple, mais il m’attira la jalousie de certains autres élèves qui échouèrent aux plus basiques enseignements de l’Honneur : l’Envie déshonore car elle pousse à remettre en question l’honneur et le mérite de l’autre.
Lorsqu’un jour, je lui demandais la raison de son opiniâtreté à m’entrainer, il me répondit :
« Tu es un prodige des armes, certes, mais ton don ne fait tout. Tu dois sans cesse t’élever et accomplir ce pour quoi tu es ici. Les yeux de nos plus prestigieux ancêtres sont tournés vers toi. »
J’embrassais l’espace des yeux, cherchant ma mère dans les estrades. Je l’aperçu, assise, me dévisageant, un léger sourire aux lèvres, me faisant comprendre par son seul regard l’impossibilité d’un échec. Protégée par ce sourire mystérieux, j’allais me placer aux côtés des autres participants.
Je dépassais facilement les autres d’une bonne tête. Nous étions cinq en ce jour : Machiko avait mon âge et avait en elle cette fougue qui caractérise notre famille dans l’Empire d’Emeraude ; Naoko, à peine plus jeune que moi, s’était toujours montrée une guerrière impulsive, à la limite du désordre ; Natsuo, était le plus vieux des prétendants. Je pense qu’il maudissait le jour de mon arrivée au dojo. Il ne méritait pas le nom de Matsu. Ce n’était qu’un jaloux qui sombrerait dans le déshonneur pour arriver à ses fins ; Hikaru, enfin, était lui aussi de mon âge. J’étais proche de lui depuis longtemps et il accordait à l’honneur autant de place que moi. Nous discutions longuement sur ce sujet, afin de comprendre au mieux les paroles du Grand Général Borgne.
Après un certain temps, Matsu Tsuko-sama commença son discours. La cérémonie du Gempukku est un évènement sacré dans tout l’Empire, mais il prend toute sa valeur dans celui de la famille Matsu. Ainsi commença la première épreuve, la plus simple, une démonstration de nos capacités au maniement du katana. Une promenade de santé aux vues des épreuves suivantes. L’épreuve se composait d’une série de Kata suivie d’un combat de démonstration. Le Bushi doit être capable de se servir de nombreuses armes et nous fîmes tous montre de nos talents, usant tour à tour de Yari, Naginata ou encore de Tetsubo, redoutable arme de nos voisins Crabe, sur des Etas, sous-êtres, ayant commis des actions mauvaises et détenus pour l’occasion.
Je n’eus aucune difficulté à remporter le combat, maniant habillement les diverses armes mises à notre disposition, m’illustrant par ma dextérité et faisant preuve de reflexes félins.
Je ne fus pas la seule à faire honneur à mon clan à ce moment-là, mais, même s’il n’en laissa rien paraître, je sais que HHH laissait l’orgueil et la jalousie l’envahir. Je sentais son regard vriller mes omoplates à travers le tissu, mais je décidais de n’en rien laisser paraître.
S’en suivit la récitation des passages des mémoires d’Akodo. Le calme avant la tempête. Un hommage au kami du Lion. Un hommage au grand tacticien, le meilleur que le monde ait jamais eu. Je récitais par cœur les principaux préceptes d’Akodo. D’abord, ceux traitant de la Compassion, de la Courtoisie, de la Sincérité et de l’Honnêteté ; puis je continuais avec le Courage, en venant finalement à psalmodier les passages traitant de la Loyauté et de l’Honneur. Rouvrant les yeux, je m’autorisais un rapide coup d’œil appuyé à Natsuo, avant de quitter l’estrade et de rejoindre les autres aspirants.
Puis vint l’avant dernière épreuve. La plus redoutée. Celle où la chair sera traitresse et la peur maîtresse. Tour à tour nous défaisons notre kimono. Nous nous retrouvons le torse dénudé, les juvéniles poitrines ceintes par un simple bandeau, et attendons de subir l’épreuve. Une guerrière s’avance avec un long bâton de bambou, s’arrête à notre niveau et désigne Machiko pour être la première à affronter son destin. Elle frappe, sans doute avec une certaine retenue, et prenant soin de viser l’ensemble du dos, répartissant ainsi la douleur. Puis Machiko, se rhabille, blême, et reprend sa place dans les rangs.
Quand vient mon tour, je m’avance, digne et déterminée. Je ne peux que serrer les mâchoires le plus fort possible, inspirant et expirant pour ne pas risquer de laisser l’air s’échapper de mes poumons et émettre un semblant de cri, aveu synonyme d’échec. J’oubli de compter. L’épreuve n’est pas réalisable si on en attend la fin comme une délivrance. Le corps entier irradie de douleur puis vient l’instant où le corps préfère s’éteindre pour ne plus souffrir. C’est à ce moment qu’il faut remporter cette épreuve. Il ne faut pas laisser s’éteindre la douleur, il faut garder l’esprit clair et lucide, à la limite du conscient, et faire abstraction de l’extérieur. Lorsque les quatre cent ont été portés on ne s’en rend pas compte. La sensation du bâton heurtant la chair et l’os s’est transformée en une douleur sourde et permanente. Le corps irradie mais l’esprit n’est pas capable de comprendre cette douleur qu’il ignore.
Naoko n’aura pas réussi. Elle se sera fait seppuku, selon nos règles, acceptant le déshonneur dans lequel son échec l’a poussée, ramenant la foule à la réalité mortelle de ce gempukku. Peut-être aura-t-elle une nouvelle chance dans sa prochaine vie.
Enfin arrive la dernière épreuve. Aux yeux des autres clans, c’est la plus barbare, symbole d’asservissement. Pour la famille Matsu, c’est la preuve de la dévotion infaillible de ses membres à leur famille, leur clan et surtout l’Empire.
Un tisonnier portant le mon de Matsu attend d’être chauffé à blanc dans le foyer improvisé au centre de la cour. Tous appréhendons ce moment décisif de notre gempukku. Nous sommes désignés à tour de rôle. En vérité la seule difficulté est de ne pas tomber inconscient en entendant sa peau et sa chair crépiter et se racornir sous la chaleur. La douleur n’existe pas. Le fer finit de détruire les nerfs de mon dos, déjà saturés de douleur après l’épreuve précédente. Je ne sens plus rien. J’imagine. J’ai réussi.
Contre toute attente, ce dernier test n’entrainera pas d’autre déshonneur. Les shugenja viennent s’occuper de nos blessures, on nous aide à nous rhabiller, puis nous avançons tous vers Matsu Tsuko-sama. Arriver à ce niveau signifie réussir son gempukku. Aussi, lorsque mon tour vient de monter sur l’estrade pour donner mon nom de samuraï, celui auquel j’ai droit pour avoir réussi mon entrée dans la vie d’adulte, je donne celui de Matsu Satomi. Notre daimyo reste fidèle à elle-même, stoïque, ne montrant aucune émotion dans ses yeux. Mon senseï est satisfait, je le sens, je sais qu’il n’a jamais douté de ma réussite.
Alors que la cérémonie s’achève, j’aperçois ma mère se lever et se diriger en boitant vers Matsu Tsuko-sama. Sa grande taille semble moins impressionnante, elle est voutée, le bras gauche le long de son corps. Sa claudication lui enlève toute sa superbe. Elle tente malgré tout de rester digne comme elle l’a toujours fait depuis sa blessure, cadeau d’un Oni, lors de la bataille de la passe de Beiden où le Crabe s’allia à l’Outremonde. Il aurait pu la couper en deux, faisant d’elle une fière guerrière morte au champ d’honneur, pour son clan, mais cette blessure lui arracha tout espoir de mort honorable et fit d’elle une infirme.
Je redoute cet instant, devinant sa requête. Je sais qu’elle attendait ma réussite pour avoir cette libération. Elle avait malgré son infirmité, assuré son rôle de mère à la perfection. Maintenant que j’étais quelqu’un elle pouvait partir, retrouver la paix.
Matsu Tsuko-sama accepte d’un hochement de tête. D’une seule ma main, ma mère enfonce son katana dans sa chair et encaisse les trois profondes entailles sans broncher, le visage froid et déterminé. Puis notre Daimyo s’avance et met définitivement fin à sa tourmente.
Ma mère n’était plus. Le dernier membre de ma famille m’avait quitté, faisant de moi une orpheline. Mais je n’étais pas seule, j’étais désormais une Matsu. Tous avaient regardé la scène dans une atmosphère lourde et solennelle. Certains visages se tournèrent vers moi. Je ne sillais pas. Je m’éloignais finalement, ne voulant pas montrer aux autres le reflet trop brillant de mes yeux. Je venais d’accomplir ce pour quoi on m’avait entrainée depuis l’enfance mais cette réussite avait un goût bien trop amer.
Je contournais le dojo à la recherche d’un endroit isolé. Je laissais mon esprit s’ouvrir et s’apaiser en contemplant les terres du Lion qui s’étendaient en contre-bas.
Puis, alors que la sérénité parvenait enfin à s’infiltrer dans mon esprit, une conversation animée non loin me tira de ma torpeur. C’était Natsuo. Je ne sais depuis combien de temps sa discussion avait commencée mais il avait dit cette phrase suffisamment fort pour que je l’entende. Sa voix venait du côté du dojo, je suppose qu’il se pensait à l’abri d’oreilles indiscrètes.
Quoi qu’il en soit, il prononça les mots suivants :
« Cette chienne arrogante m’a ridiculisé, tout au long de mon enseignement ! Et elle le refait encore aujourd’hui ! Et pour couronner le tout, sa mère attire toute l’attention à la fin ! Elle ne mérite pas l’attention que Tsuko lui a faite, elle aurait dû mourir seule comme l’estropiée qu’elle est !
_ Calme toi mon fils, tu auras l’occasion de te venger, tempérait une voix masculine.
_ Je hais cette gamine ! Elle est aveuglée pas sa propre bêtise, et tous l’encourage en ce sens ! »
Je passais progressivement du calme à la tempête. Je sentais mon visage brûler, mon sang bouillonner dans tout mon corps. En un éclair, je dégainais mon katana et me dirigeais en hurlant vers les voix. Je passais le côté du dojo et je lus la surprise dans les yeux de Natsuo et de son père lorsque je surgis, telle une furie, devant eux. Peut-être la surprise fut-elle trop grande ou bien sûrement n’était-ce qu’un lâche mais il courut vers le centre de la place où quelques parents discutaient entre eux du futur de leurs enfants. Il se retrouva acculé. Je lui hurlais alors :
« Je ne suis qu’une chienne couarde ? Une gamine ? Ma mère ne méritait pas de finir sa vie comme la grande guerrière qu’elle était ? Et qu’est-ce que tu es, toi ?! Lâche !
Des gardes qui s’apprêtaient à s’interposer stoppèrent tout mouvement au seul geste de Matsu Tsuko.
« Sors ton arme et meurs en guerrier, ou continu à fuir et montre tout l’honneur dont tu es capable ! »
Il dégaina, puis mourut d’un simple coup. Son père ne dit mot. Il ne pouvait rien dire. On vint retirer le corps de Natsuo. Matsu Tsuko-sama m’adressa un signe de tête, accompagné d’un léger sourire.
Ainsi prit fin mon gempukku.
1 an plus tard.
Un conflit opposait le clan du Lion et celui du Phénix. Je devais livrer ma première grande bataille, aux côtés de mes frères et sœurs, et devenir la digne descendante de Dame Matsu.
J’étais convoquée dans la tente de nos généraux. Parmi eux, Akodo Toturi, notre champion de clan, Matsu Tsuko, ma daimyo, et Kitsu Toju, daimyo des shugenja de notre clan. Contrairement à mes attentes, j’appris que je n’irais pas dans le cœur de la bataille. J’appris la mission de la bouche de Tsuko, chacun de ses mots approuvés par Kitsu Toju. De toute son intervention, Toturi ne dit mot. Mon rôle serait tout autre, je devais rester avec un groupe de shugenja Kitsu, en soutien. Nous devions rejoindre une position surélevée à l’écart de la bataille pour que les shugenja puissent invoquer les puissances nécessaires. Bien que celui-ci ait pu être une insulte à ma valeur guerrière, je restais impassible à l’annonce de cet ordre.
Que cela me plaise ou non, j’avais reçu un ordre et je comptais bien remplir mon rôle et accomplir mon devoir.
Je quittais les généraux pour rejoindre le groupe de shugenja que je devais protéger. Je vis en passant que Matsu Manobu, le père de Natsuo, me regardait, un sourire narquois aux lèvres, jubilant probablement de mon affectation. Nous nous mîmes en route promptement vers notre destination.
Après un certain temps à avancer à couvert dans la forêt, nous arrivâmes au bas du chemin permettant de monter à flanc de montagne. De là, nous pouvions observer la bataille qui se déroulait maintenant dans les plaines du territoire du Phœnix.
A peine étions nous en place qu’une vingtaine de samouraï sans mon apparut et bientôt nous bloquait sur ce promontoire. Le terrain ne leur permettait pas d’être à plus de trois de front et leur surnombre était inutile. Me plaçant entre nos assaillants et ceux dont j’avais la charge, je dégainais mon no-dashi et hurlais aux shuhenja de fuir en tentant de descendre la falaise, me préparant à leur laisser suffisamment de temps pour fuir.
Je me dressai devant ces ronins, mon no-dashi pointé vers eux, les dévisageant en leur lançant un regard de défi. Je les sentis hésiter, déstabilisés par mon aplomb, mais la fuite des shugenja le long de la falaise précipita leur décision et ils chargèrent pour briser le barrage que je formais devant eux. Je jouais sur la portée de mon arme, poussais un cri comparable à un rugissement et empalais le premier de mes assaillants. Je fis un bond en arrière, tachant de garder mon équilibre et évitant les sabres qui se dirigeaient vers moi. Je continuais ainsi, faisant tomber un second ennemi et bientôt huit d’entre eux gisaient sur le sol. Blessée, je continus pourtant de les défaire, les uns après les autres. Jusqu’à ce que l’un d’eux me blesse et que les trop nombreuses blessures aient raison de moi. Je lutte pour ne pas faillir. J’ai épuisé toutes mes forces pour tenir. Je finis par tomber à genou. Je jette un coup d’œil derrière moi, tous les Kitsu ont apparemment réussi à fuir. Victoire est mienne. Je me retourne vers le ronin et vois tous les corps de ses compagnons gisant sur le sol. Je ne peux m’empêcher de sourire, même devant la mort. Il lève son sabre vers moi et se prépare à l’abattre. Je ne le quitte par des yeux.
Alors que la fin semblait imminente, une vague de chaleur vient irradier mon visage et une forte lumière me force à plisser les yeux. Puis une déflagration emporte mon bourreau et le reste de ses compagnons. J’aperçois deux samouraï, tout d’orange vêtus qui se dirigent vers moi. Un individu en robe, elle aussi orange, les suit de peu. La rage me quitte. Je m’écroule, épuisée par ce combat.
Je me réveillai dans un lit, endolorie. Des personnes sont dans la pièce, des hemins qui semblent veiller sur moi. Je tente de me redresser, surprise, mais mon corps me fait terriblement souffrir. Soudain, une voix qui semble venir de l’entrée de la pièce me parvient :
« Je suis heureux de vous voir enfin éveillée, dame Matsu, mais vous devriez rester alitée et économiser vos forces. Vous avez subit une dure épreuve sur cette falaise. »
Je reconnais l’homme sur le promontoire. Il porte toujours ce kimono ample au couleur du clan du Phœnix. Il aborde le mon de la famille Asako. Je dévisage cet homme, lui qui était mon ennemi, si j’en crois cette bataille, se retrouvait être mon sauveur. Je restais relevée dans mon lit, luttant contre la douleur, parcourant la pièce du regard. Dans un coin de celle-ci, je vis mon armure, mon daïsho et le reste de mes armes, posées sur une malle, je pouvais voir ce qui restait de mon kimono, posé à côté de mes autres effets. Subitement je vérifiais ma tenue. Mon corps était couvert de bandages et le tissu qui recouvrait ma poitrine avait été changé. Je portais comme tenue un kimono d’un orange assez pâle.
« Bien, Vénérable… Je suis votre prisonnière. Mais tuez-moi rapidement ou cette guerre ne fait que commencer, lançais-je sombrement.
_ Vous êtes éveillée certes, mais vous devez encore vous reposer. Peut-être comprendrez-vous votre statut au sein de cette demeure, me dit-il avec un sourire compatissant. Ces gens sont là pour veiller sur vous, si vous avez besoin d’aide vous pouvez leur demander, ajouta-t-il en se dirigeant vers la sortie.
_ Restez ici ! » Je hurlais dans sa direction en tentant de me relever. Mon mouvement fût trop brutal et je sentis mes blessures se rouvrir. Je tombais au sol. Ces ronins avaient réussi à me vaincre par l’usure, et maintenant je ne tenais plus debout, les jambes durement touchées. Des hemins accoururent vers moi pour m’aider à regagner mon lit. Je leur hurlais de ne pas m’approcher et regagnais péniblement ma couche. Je réussi à monter une jambe dans mon lit avant de me sentir sombrer dans l’inconscience.
Je rouvrais les yeux, un hemin penché au-dessus de moi, un linge humide dans les mains. Il recula en me voyant ouvrir les yeux, mais je ne dis mot ni fis aucun geste. Après un temps je décidais de rompre le silence :
« Depuis combien de temps suis-je ici ? M’enquérais-je.
_ Vous êtes arrivée il y a trois jours, Matsu-sama, me répondit l’un de mes soigneurs.
_ Qui m’a soignée ?
_ Le maitre Asako-sama. C’est un grand médecin dans notre clan. Je dois m’assurer que votre guérison se déroule convenablement, Matsu-sama.
_ Qu’est-ce que ton maitre attend de moi ? Demandais-je alors sèchement.
_ Je ne le sais Matsu-sama. Mais vous serez bientôt rétablie et vous pourrez sûrement converser avec Asako-sama. Me répondit-il ».
Je ne comprenais toujours pas pourquoi ils m’avaient sauvée. Je ne savais pourquoi j’étais retenue ici, mais le plus grand de mes doutes venait du fait que j’avais la sensation que cela n’était pas pour me nuire. Je ne lutais donc plus, et faisais en sorte de me remettre le plus vite possible pour comprendre les desseins de cet Asako.
Plusieurs jours passèrent. J’avais attendu d’être capable de me déplacer seule et, s’il le fallait, de me battre. Je me mis debout et saisi mon daïsho et mon no-dashi. Je ne pouvais mettre mon armure seule, aussi, je quittais la pièce en kimono orange. Les hemins qui m’entouraient m’avaient laissé prendre mes armes mais ne semblaient pas extrêmement inquiets de ce fait. Je me trouvais désormais dans une vaste clairière cernée par les arbres. Au loin, j’apercevais la montagne sur laquelle j’avais combattu et, au-delà des arbres se dressait un immense shiro. Shiro Asako. Dans cette clairière, quelques habitations formaient un hameau. La demeure de l’Asako, bien que sensiblement plus grande que les autres habitations, restait néanmoins très sobre, qualité guère surprenante chez un membre du Phœnix. Les villageois vaquaient à leur occupation dans ce semblant de village. Et au milieu de la clairière, discutant avec un jeune garçon, je vis mon hôte.
Je m’approchais. L’enfant parti après une révérence au shugenja. Celui-ci se retourna vers moi, un air réprobateur affiché :
« Vous ne devriez pas vous charger autant, me gronda-t-il.
_ Je pense en être capable, Vénérable. Répliquais-je. Puis-je savoir les raisons de ma détention en ces lieux ?
_ Détention ? Avez-vous l’impression d’être captive ici, Matsu-san ? Je dirai que vous êtes ici en convalescence et en quête de spiritualité, ajouta-t-il en souriant.
_ Je… Je ne comprends pas, avouais-je.
_ Vous avez subit de très graves blessures lors de votre combat contre ces hommes, vous auriez pu y laisser votre vie.
_ Si cela avait été nécessaire, alors j’aurai dû mourir, soufflais-je.
_ A quoi bon, pour votre clan ou l’empire, perdre quelqu’un comme vous ? Vous n’avez pas hésité une seconde, vous avez fait en sorte que vos frères de la famille Kitsu puissent repartir sains et saufs de ce piège. Vous avez juré de protéger ces hommes et vous les avez servis de la plus loyale des façons. Tout comme Shiba jura loyauté à Isawa, qui veille aujourd’hui encore sur nous tous. Vous ne deviez simplement pas périr en ce jour, dit-il doucement.
_ Ces hommes n’étaient donc pas à la solde de votre clan ? M’étonnais-je.
_ Cela aurait plus simple pour vous, mais je crains que cela ne soit pas le cas. Tout comme cette guerre, les raisons de ce piège restent obscures.
_ Je vous suis reconnaissante, mais quand pourrais-je retourner sur les terres de mon clan ?
_ Lorsque vous serez prête, jeune Matsu. De plus, j’aurai besoin de vos services lorsque vous aurez recouvré toutes vos forces.
_ Bien, Vénérable, votre nom sera cité sur les terres du Lion, je m’y engage, déclarais-je. »
Il ne répondit rien, et ne me rendit qu’un sourire.
Puis passa le temps. Je redevenais peu à peu la guerrière implacable que j’avais été. Je m’exerçais avec les quelques samouraï de la famille Shiba qui vivaient ici. Au début sceptique sur leurs capacités, connaissant le tempérament pacifique du clan, je fus surprise de voir le potentiel dévastateur de leurs techniques. La méfiance que je leur inspirais et le mépris que je ressentais pour eux se changèrent en un respect mutuel qui forgea bientôt une solide amitié.
Je compris grâce à ces hommes la valeur des samouraïs du Phœnix. Tout en prenant conscience, je me remémorais le code rédigé par Akodo et je compris que le mépris de l’autre, de son savoir ou de sa nature profonde, n’était qu’un manquement à l’honneur. L’empereur avait confié à ses frères, les kamis, une charge dans l’empire d’Emeraude et mettre en doute les actions d’un clan revenait à remettre en doute le jugement de Hanteï. Aussi, j’appris à réviser mon point de vue sur nombre de clan.
J’intégrais finalement l’une des patrouilles et nous nous rendions dans les terres avoisinantes pour y aider les personnes nécessiteuses. Je fus surprise de voir à quel point les samouraïs de la famille Shiba faisaient preuve d’un altruisme inné envers les gens de leur peuple. Nous apportions notre aide aux gens, quelle que soit leur caste ou leurs moyens. Je fus d’abord réticente à considérer ces individus comme le faisaient les Shiba ; dans le clan du Lion, l’utilité des paysans n’est plus à prouver, mais nous ne leur donnons aucune valeur. Les représentants du clan du Phœnix partagent une toute autre vision, et voient le simple paysan comme un maillon indispensable, qu’il faut chérir et protéger.
Peu à peu, je parvins à accepter cette idée, pour finalement me surprendre à agir d’une manière similaire à eux.
Autour de moi, bien que ma présence soit souvent accueillie avec méfiance, la justesse de mes paroles et mon ton moins suave que celui de nombreux Shiba, plaisait à beaucoup d’entre eux. Puis vint un temps où chaque villageois semblait heureux de me voir, et les demandes d’aide que l’on m’adressait se faisaient plus régulières. Pour la première fois, je me sentais accomplie. J’avais l’impression d’avoir atteint un autre état de conscience. J’avais réussi à me procurer un exemplaire du code du bushido mais je n’avais plus besoin de m’en faire la lecture. Je laissais mon esprit survoler les mots et mon âme dériver dans ces mémoires. L’essence de cet écrit et mon esprit s’étaient assemblés. Tout était devenu naturel.
Le vénérable dû remarquer ce fait puisqu’il vint un jour me voir. C’était environ un an après mon arrivée ici :
« Je pense que tu es prête, m’annonça-t-il. Tu seras bien évidement toujours la bienvenue sur mes terres, mais je pense que désormais le Lion te réclame. Et il n’y a pas meilleur moment pour toi pour partir. Tu as appris en cet endroit ce qu’il te manquait pour comprendre l’essence de l’Honneur et en devenir le parangon, ajouta-t-il.
_ Je comprends enfin la raison de ma présence ici, et je n’oublierai jamais ce que je vous dois, Asako-sama, lui dis-je.
_ J’ai été honoré de t’accueillir dans mon domaine. Il est triste que ce genre d’occasion se fasse rare, me dit-il avec un sourire triste. Que les kamis veillent sur toi. »
J’entrepris d’empaqueter ce que j’avais accumulé au fil du temps et après des adieux chaleureux avec mes « geôliers » je repartis vers les terres du Lion, grandie par la sagesse du clan du Phœnix, assagie par ce séjour prolongé loin de chez moi et plus déterminée que jamais.